Le jeu de rôle, une pratique aux multiple facettes

, par Akantor

Depuis quelques années que je joue au jeu de rôle, j’ai vu plusieurs personnes s’étonner du temps que j’y consacrais. J’ai aussi vu la difficulté croissante que j’avais à définir cette activité. Il est donc temps de mener une petite réflexion.

Le jeu de rôle est une pratique riche qui comporte de nombreux aspects et des possibilités d’approfondissement presque infinies. On glisse facilement vers d’autres formes créatives sans vraiment sentir les frontières classiques que l’on franchit.

Le jeu de base

Sous sa forme actuelle classique, le jeu de rôle pourrait ressembler à une partie de jeu de l’Oie, de Monopoly ou de Backgammon. On lance des dés, on prends des décisions et on essaie de trouver des solutions aux difficultés rencontrées. En général, on se passe des pièces matérielles pour projeter nos "pions", que l’on appelle personnages, dans un univers un peu plus riche que le plateau du jeu de l’Oie, mais l’idée est la même.

A quelques exceptions prêt.

  1. les "pions" en question ne sont pas interchangeables, ils ont fait l’objet d’une préparation. Chaque personnage a été inventé.
  2. le "plateau" en question n’est pas connu à l’avance et a aussi fait l’objet d’une préparation. L’aventure et son décors ont été inventés.
  3. Enfin le "jeu", lui même est construit au fur et à mesure, par le récit partagé, éventuellement aidé de plan, de dessins, d’arrangements musicaux, etc. Bref la situation est également inventée de manière interactive. Aussi bien par le meneur de jeu qui fait le travail de mise en scène que par les joueurs qui insistent sur l’interprétation.

Ces quelques "exceptions" profilent déjà les contour d’une activité inventive, voire créative, en étoile dont les lignes de fuites se perdent à l’horizon.

A cela, il faut ajouter une culture artisanale qui amène les meneurs de jeu à empiéter sur le terrain habituellement réservé aux éditeurs et aux inventeurs de jeu, à savoir :
 la création du scénario de l’aventure.
 la création de l’univers de jeu.
 la création des règles du jeu.

Le jeu avancé

On voit déjà que la créativité peut déjà s’étendre dans 7 directions différentes :

  1. Interprétation du personnage (joueur)
  2. Profilage du personnage au niveau du caractère, de son historique, etc. (joueur)
  3. Conception du personnage en terme technique (joueur)
  4. Mise en scène du scénario (meneur)
  5. Écriture du scénario (meneur ou éditeur)
  6. Création d’un univers persistant où vont s’inscrire des scénarios successif (meneur ou éditeur)
  7. Réalisation d’un ensemble de règles du jeu qui vont définir une physique de l’univers (meneur ou éditeur)

Une pratique régulière amène rapidement à explorer une ou plusieurs de ces pistes. En effet, chaque piste est riche en amusement et améliore l’immersion. Tel personnage mieux interprété, amène de la présence qui donne aux joueurs/spectateur une impression plus vraie que nature. Tel personnage au passé complexe va éveiller la curiosité. Telle aventure à l’ambiance envoûtante va rendre la partie mémorable. etc. Généralement l’approfondissement créatif va renforcer le plaisir partagé et apporter à son acteur la reconnaissance correspondante.

Au delà du jeu : mon expérience

Avec le temps j’ai pris l’habitude de continuer à appeler "Jeu de Rôle" des activités qui vont bien au delà de cette pratique. Car c’est au sein de cette pratique que certaines inventions, certaines réflexions ont trouvé leur racines et le terreau pour se développer. Par exemple :
 J’avais un personnage assez complexe que je jouais depuis longtemps dans de nombreuses aventures avec différents meneurs de jeu mais pour lequel je ressentais toujours une certaine frustration. Les situations proposées par les aventures qu’il avait vécues ne m’avait jamais permis d’explorer certains aspects de son caractère. Je me suis donc mis à corriger ces manques en remplissant le temps entre deux aventures par les situations qui me manquaient. Et pour donner leur une réalité, je me suis mis à les écrire. Résultat plus d’une centaines de pages couvrant des mois et des mois de sa vie. J’avais basculé dans l’écriture romanesque sans me rendre compte que je franchissais une frontière.
 Toujours avec le même personnage, ayant atteint un certain niveau, il construisit un temple (c’était un prêtre dans D&D). Pour donner un peu de consistance à cette réalisation, je décidais d’en faire les plans. Avant de m’en rendre compte, ces plans étaient devenu un projet Blender (un outil de conception 3D) pour lequel je me posais des questions d’architecture, puis de rendu d’image de synthèse, puis des questions d’animations.
 Bien que ce ne soit pas mon cas, j’ai croisé un certain nombre de rôlistes qui mettaient à contribution leur talents graphiques pour dessiner leur personnages, leur donnant ainsi une existence plus forte, partageant littéralement leur vision du personnage.
 Évidemment comme meneur de jeu j’ai rapidement voulu tester mes propres scénarios. Parfois rédigés j’ai vite préféré fonctionner sur des synopsis plus flous qui acceptaient les fantaisies des personnage. Tout le problème de cette mise en scène quasi improvisée était de maintenir la cohérence de l’histoire et de l’univers.
 Cela m’a vite amené à construire plutôt que des scénarios, des situations et des décors. Une fois les lieux, les personnages, les événements du passé fixés, la logique allait naturellement faire découler certains faits ; à moins que les personnages/joueurs ne viennent s’en mêler. J’ai donc du apprendre à concevoir et à rédiger des plans, des situations, des groupes des personnages, bref des bout d’univers cohérents.
 Lors de la séance elle-même, il est vite apparu que certaines technique amélioraient l’ambiance. La voix et les intonations sont bien sûr primordiales pour un jeu basé sur la parole, mais la lumière et la musique sont aussi de puissants alliés de la mise en scène. Le découpage et le rythme de la narrations sont en revanche des thématiques que je peine encore à maîtriser après des années d’expériences.
 Enfin ma formation scientifique m’a poussé à essayer d’améliorer les systèmes de règles auxquels je trouvais toujours des failles. Il m’a fallut un peu de temps pour comprendre que la réalité que le système devait décrire n’était pas la notre mais celle des films de cape et d’épée. Et finalement, j’ai réalisé que ce qui me passionnait réellement dans ces systèmes était la progression du personnage. Cette prise de conscience m’a amené à des années de réflexion sur ce qu’était la compétence et sur les modèles que l’on pouvait faire de son acquisition, avec des recherches qui tiraient davantage sur la psychomotricité ou la psychosociologie.

Conclusion

Je ne me prétendrais ni auteur, ni metteur en scène, ni scénariste, ni acteur, ni architecte, ni animateur 3D, ni psychologue ou psychomotricien. Car il faudrait avoir une pratique professionnelle et non pas seulement amicale. Mais à travers ces voyages partis du jeu de rôle j’ai pu apercevoir quelques unes des problématiques correspondantes.

Au final, je crois qu’effectivement je consacre une part importante de ma vie au jeu de rôle. Mais ce n’est pas tant parce que c’est un refuge douillet qui pourrait être emprisonnant ; je passe d’ailleurs très peu de temps en "séance" autour d’une table avec mes amis. Mais bien parce que c’est un lieu de créativité multidirectionnelle qui amène naturellement à franchir les frontières vers d’autres chemins créatifs.

P.-S.

Et quelque jours après la sortie de cet article, un sondage francophone semble confirmer ma description : http://www.le-thiase.fr/sondage-sur-les-rolistes-2014/.

On voit en particulier que 75% des répondants ont une activité créative autour du Jeu de Rôle. Par ordre décroissant : Scénario, règle, aide de jeu, texte d’inspiration... mais aussi illustrations (je n’ai hélas pas ce talent), traductions, beta test, fansine, etc.